De la réalité virtuelle au format immersif : défis de l’exposition « transformé »


De la réalité virtuelle au format immersif : défis de l’exposition « transformé »

Publié le 26 janvier 2023    access_time 5 minutes

Un compte rendu de Philippe Bédard, chercheur et rédacteur, Xn Québec
Une version anglaise de ce compte rendu est disponible sur le site XR Must.

transformé, c’est la toute nouvelle exposition immersive déambulatoire présentée dans l’espace OASIS immersion, au Palais des Congrès de Montréal. transformé, c’est aussi « un voyage fascinant au cœur d’histoires vraies, révélant tout le pouvoir du courage et de l’empathie »1

Finalement, « transformer », c’est aussi le concept opératoire du spectacle : transformer des œuvres originalement en réalité virtuelle vers un nouveau immersif sans casque, mais aussi transformer le public en l’amenant à la rencontre d’histoires touchantes, troublantes et inspirantes.

Célébrer la réalité virtuelle en la transformant

L’exposition lancée le 19 janvier 2023 comprend huit œuvres, disposées sur trois salles organisées thématiquement. Les œuvres sélectionnées sont :

• On the morning you wake (to the end of the world) (Mike Brett, Steve Jamison, Arnaud Colinart et Pierre Zandrowicz, 2022)
• Vestige (Aaron Bradbury, 2018)
• Ferenj (Ainslee Alem Bobson, 2020)
• Tokyo Light Odyssey (Nakazi Takuma, Moriwaki Daisuke et Kudo Kaoru, 2016)
• Container (Meghna Singh et Simon Wood, 2021)
• Goliath (Barry Gene Murphy et May Abdalla, 2021)
• Notes on Blindness (Arnaud Colinart, Amaury La Burthe, Peter Middleton et James Spinney, 2016)
• Conscious Existence (Mark Zimmerman, 2019)

Si certains de ces titres vous sont familiers, c’est bien parce qu’il s’agit d’œuvres originalement créées en réalité virtuelle (RV) qui ont déjà été présentées en festival, dont certaines il y a plusieurs années déjà.

Or, l’un des objectifs de l’exposition est justement de donner une autre vie à ces projets qui, bien qu’ils aient été célébrés à travers le monde sur le circuit des festivals, n’ont pas nécessairement été vus par le grand public.

Pour ce faire, ces œuvres ont dû être adaptées — voire complètement reconstruites — pour passer au format « immersif ». Dites au revoir aux casques de réalité virtuelle et à leur expérience purement individuelle. Le format d’une exposition immersive déambulatoire mise plutôt sur une expérience collective. Ce changement de dispositif amène nécessairement son lot de défis et de limites, mais aussi quelques nouvelles possibilités.

Ruby-Maude Rioux (conceptrice multimédia sénior, OASIS) nous explique en entrevue qu’il y avait un fort intérêt à l’interne envers le projet d’adapter des contenus de RV : « Nous sommes tous.tes des mordus d’immersion, de nouvelles technologies, de nouveaux médias en général ». Malgré les défis techniques qui s’annonçaient, « l’équipe était emballée de pouvoir travailler sur ce genre d’adaptation » ajoute-t-elle.

Bien évidemment, le développement de l’exposition n’a pas été porté que par OASIS. Julie Castonguay (productrice exécutive, OASIS) rappelle que « le développement du projet transformé est le fruit d’une collaboration unique entre nos équipes créatives et techniques et un groupe de talentueux artisan.nes de la réalité virtuelle. »

Goliath (Crédit photo: Victorine Yok-Thot Sentilhes)

Chaque œuvre amène ses propres défis (techniques, esthétiques, mais aussi narratifs). Il a fallu collaborer avec les artistes originaux pour adapter—voire réinventer—les œuvres. Il s’agit d’un vrai travail d’adaptation. « Chaque récit a nécessité un travail minutieux d’adaptation narrative et technique, d’expérimentation avec des outils d’intelligence artificielle, de création sonore et de recherche […] Cette expo est en quelque sorte un hommage à leur travail et au pouvoir transformationnel de l’immersion », ajoute-t-elle. 

Des histoires vraies, réinventées

Au niveau technique et esthétique, transformé relève un défi costaud. Or, c’est aussi au niveau narratif qu’OASIS immersion s’est donné un nouveau défi. Après RECHARGER/Unwind et Van Gogh – Distortion, « nous avions envie de raconter des histoires, mais aussi de nous rapprocher de l’humain » raconte Ruby-Maude Rioux.

Partant du pouvoir empathique qui est souvent associé à la réalité virtuelle, l’exposition mise sur des histoires qui transportent le public dans l’univers d’individu divers. Alors que certaines des œuvres sont aussi contemplatives que les expériences qu’on retrouve généralement dans ce genre de galerie immersive, d’autres nous plongent dans des récits personnels qui portent autant sur le deuil, l’angoisse, et la santé mentale. Ces dernières sont accompagnées de compositions musicales et dialogues qui rivalisent avec ce qu’on pourrait trouver au cinéma (Marion Cotillard et Emmanuel Schwartz ont d’ailleurs prêté leur voix aux versions françaises de deux œuvres).

Notes on blindness (Crédit photo: Victorine Yok-Thot Sentilhes)

Pour une œuvre comme Notes on Blindness ou même Goliath, la réalité virtuelle cherche à générer de l’empathie pour un personnage en nous mettant dans sa peau : nous voyons le monde de son point de vue, que nous contrôlons grâce au casque RV. Cela n’est plus possible avec le format immersif. Or, ce que transformé propose avec les nouvelles moutures de ces œuvres, c’est de transporter le public dans l’univers des personnages : être avec eux et s’immerger dans un espace qui reflète sa perception du monde. 

« Le développement du projet transformé s’est avéré une exploration fascinante de notre approche narrative, ainsi que de notre capacité à faire vivre des émotions à nos visiteur·euses dans le canevas visuel et sonore formidable d’OASIS immersion » explique Jean-Pascal Comeau (directeur technique adjoint, contenus et expériences, OASIS).

Dominic St-Amant (consultant en adaptation immersive, Phosphen) explique que : « la réalité virtuelle se veut une expérience individuelle intime où la proximité du sujet nous plonge au cœur de l’émotion. L’immersion en salle, quant à elle, nous propose une expérience collective plus contemplative et parfois même collaborative ». Comment le développement d’un sentiment d’empathie pour autrui est-il affecté quand l’expérience devient collective? 

Une nouvelle voie de distribution pour la VR?

Pour Denys Lavigne (président et cofondateur, OASIS) : « L’exposition transformé est née d’une volonté d’innover en explorant la convergence des expériences entre l’immersion en mode réalité virtuelle et l’immersion à la OASIS ».

D’une part, il faut reconnaître le potentiel que ce genre d’espace immersif représente dans la stratégie de distribution d’une œuvre de réalité virtuelle. Contrairement à la distribution sur casque RV, une telle exposition permet un allègement de certaines contraintes techniques (l’œuvre n’a pas besoin d’être portée chaque fois qu’un nouveau casque est lancé), de même qu’une plus grande accessibilité, que ce soit en termes d’âge ou de capacités.

Toutes ces avancées permettent d’ouvrir la narration immersive à d’autres publics. Antoine Cayrol (producteur et co-fondateur de Atlas V) raconte que , « dans cet écosystème naissant, une mission toute particulière aura été pour moi de veiller à ce que ces contenus soient vus par des publics larges et diversifiés. » Le producteur nous avait d’ailleurs déjà fait part de cette stratégie lorsque nous lui avions parlé dans le cadre de l’enquête Façonner un marché pour la XR indépendante (Source).

Tokyo light odyssey (Crédit photo: Victorine Yok-Thot Sentilhes)

D’autre part, il faudra suivre le développement de cette expérience pour voir si le pari sera gagné : est-ce qu’on peut traduire des œuvres de réalité virtuelle en format immersif sans dénaturer l’expérience ? La transposition ouvre-t-elle de nouvelles portes (esthétiques, narratives, expérientielles) ?

Comme le rappelle Dominic St-Amant, le genre des expositions immersives « en est encore à ses balbutiements, et nous sommes tous.tes en quelque sorte des pionnier·ères qui écrivent les premières phrases de ce nouveau langage. »

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