FNC FORUM: Faut-il arrêter de faire de la VR pour sauver la planète ?


FNC FORUM: Faut-il arrêter de faire de la VR pour sauver la planète ?

Publié le 12 décembre 2023    access_time 5 minutes

Le vendredi 13 octobre dernier, le FNC FORUM du Festival du Nouveau Cinéma abordait un sujet névralgique pour les producteur.rice.s d’expériences numériques: faut-il arrêter de faire de la VR pour sauver la planète? Pour l’occasion, Philippe Bédard animait une discussion avec Landia Egal (Fondatrice – Tiny Planets) et Amaury La Burthe (Fondateur- Novelab) qui sont à l’origine de l’installation immersive Okawari et du Cas d’étude pour un immersif responsable (CÉPIR).

Conscients de l’empreinte environnementale des voyages outre-mer, les panélistes français Landia Egal et Amaury La Burthe ont choisi de participer virtuellement à cet événement.

Retour sur une discussion captivante.

Les visiocasques: l’épouvantail dans la pièce

Philippe Bédard a jeté les bases de la discussion en résumant la problématique à laquelle sont confronté.e.s les créateur.rice.s qui produisent des contenus pour les casques de réalité virtuelle. «Contrairement à l’expérience collective du cinéma ou d’autres formes d’arts, la réalité virtuelle est limitée par le visiocasque. Un dispositif qui est nécessaire, individuel. Comment réconcilier le désir de rejoindre un grand public, tout en tenant compte de l’impact environnemental lié à l’atteinte de cet objectif?».

En effet, qui dit grand public dit grand nombre de casques. Or, on le sait, ces casques immersifs contiennent des matériaux rares et difficiles à recycler. Et que dire de l’impact environnemental associé à leur fabrication et à leur distribution.

Les dérèglements climatiques: quand le sujet devient la cause

La position de Landia Egal sur cet enjeu s’est cristallisée en 2019, lorsqu’elle a été invitée à Adélaide, en Australie, pour soumettre un projet en réalité virtuelle destiné à sensibiliser les publics au sujet des dérèglements climatiques. Rappelons qu’à cette époque, l’Australie était en proie à de terribles feux de brousse. Rapidement, Landia Egal évalue l’impact carbone de son vol aller-retour vers l’Océanie et considère l’ironie de la situation.

Toutefois, sa réflexion ne s’arrête pas là. «Si on veut utiliser la réalité virtuelle pour sensibiliser à ces enjeux-là, il faudrait équiper combien de personnes [de casques de visionnement]? Dans quelles conditions? Quelle est la part du budget carbone – qui doit être décroissant – qu’on doit consacrer à ça?»

Après tout, comme elle le mentionne, «si on contribue au développement et à la démocratisation des marchés [de la réalité virtuelle], on contribue aussi à cette infrastructure, à la fabrication de casques, la mise en place de réseaux, l’établissement de centre de serveurs, les antennes, les satellites, et cetera». De surcroît, ce système consomme des matières premières qui ne sont pas renouvelables.

Okawari: une expérience gratuite sur la surconsommation

Ces inquiétudes font partie des inspirations d’Okawari, une installation immersive et interactive lancée en première à Venice Immersive (Biennale de Venise) en 2022 et présentée cette année au Festival du Nouveau Cinéma, à Montréal. Cette création, signée Landia Egal et Amaury La Burthe a été coproduite par le studio montréalais Dpt. et est distribuée par Hubblo.

Préoccupés par l’empreinte environnementale de leurs créations, Landia Egal et Amaury La Burthe ont entrepris de «surcycler» l’œuvre VR Unami, présentée pour la première fois en 2018. Ainsi, ils ont pris soin, comme l’indique Amaury La Burthe, de «réinventer et réécrire une histoire, qui n’a rien à voir avec le projet initial» pour traiter d’un nouveau sujet: la surconsommation.

Mais ce n’est pas tout, Landia Egal explique que l’expérience Okawari a aussi «une face cachée». Le projet a été conçu pour être en mesure de «montrer les impacts environnementaux qui sont associés à sa production, sa création et sa diffusion».

Le CEPIR: pour tendre vers mieux

Justement, Okawari est au cœur du Cas d’étude pour un immersif responsable (CEPIR), qui a vu le jour pour évaluer les impacts environnementaux de la XR. Les deux panélistes invités, Landia Egal et Amaury La Burthe, participent à cette initiative.

Amaury La Burthe explique ainsi la mission du CEPIR: «offrir des données réelles aux producteurs du secteur immersif». Cet objectif s’incarne par la construction d’une calculatrice qui permettra «d’évaluer les émissions de carbone des projets [des producteur.rice.s d’expériences numériques]».

L’exercice s’inscrit dans une démarche rigoureuse. Landia Egal souligne que leur travail fera l’objet d’une publication dans une revue scientifique.

Au-delà des chiffres, il y a aussi la philosophie. Pour inciter à la réflexion, il sera possible d’évaluer, en amont de la création d’un projet, son impact environnemental. Selon Amaury La Burthe, il faut désormais se demander si le message qu’on tient à véhiculer mérite l’énergie qui est déployée pour le faire.

Donc, faut-il cesser de faire de la réalité virtuelle?

«Je pense que l’immersif a un véritable avenir, mais peut-être pas sous une forme très individualisée où l’ensemble de la planète se connecte à travers un casque», répond Amaury La Burthe.

Il refuse la position «techno-solutionniste» qui dit: «on va trouver une solution et de toute façon on fera des casques plus économes». Il ajoute que ceux qui pensent ainsi «n’ont pas conscience de l’ordre de grandeur et de la quantité des changements qui sont nécessaires». 

Landia Egal abonde dans le même sens. «On n’est pas là pour dire qu’il ne faut pas faire de VR. Toutefois, il faut le faire de la façon la plus sobre possible et pour des usages auxquels on a réfléchi au préalable, et non pas simplement parce qu’on a envie d’en faire.»

Justement, pour assurer une bonne réflexion préalable, il est nécessaire de bien maîtriser le sujet du développement durable. «Ça demande du temps pour se former et mieux comprendre ce qu’on est en train de faire, mentionne Landia Egal. C’est passionnant le fait de mieux comprendre. Ça rend moins anxieux aussi. Quand on comprend mieux les principaux impacts, les ordres de grandeur, on pense à des solutions créatives qui sont beaucoup plus pertinentes.»

Un pas de recul pour la suite des choses

En somme, Amaury La Burthe invite le milieu du numérique à prendre un pas de recul. «On s’en fout de la vitesse à laquelle les innovations arrivent. C’est une fausse course. (…) On est dans un mode de surconsommation dingue. Il faut qu’on redescende d’un cran.»

À titre d’exemple, il propose même de revenir à une technologie qui a fait ses preuves en ce qui concerne l’immersion: Google Cardboard. Rappelons que ce dispositif permettait de transformer son téléphone portable en visiocasque bon marché. «Ça fonctionnait bien et ça rajoutait un usage à un appareil, sans rajouter un impact négatif».

Un cas d’étude à suivre

Dans les prochains mois, des publications importantes sont à prévoir de la part du CEPIR. En plus de l’article scientifique et de la calculatrice d’émissions de monoxyde de carbone mentionnées précédemment, Amaury La Burthe mentionne que des «fiches de bonnes pratiques pour aider les producteurs et les studios à faire de l’écoproduction, de l’écoconception et de l’écodistribution» seront aussi offertes.

Gageons que ces outils trouveront preneurs chez les créateur.rice.s soucieux.se.s de leur empreinte sur la planète. Surveillez le site web du CEPIR pour leur dévoilement. 

En savoir plus

arrow_backRetour aux nouvelles