Les NFTs : une nouvelle façon de vendre et de faire de l’art ?


Les NFTs : une nouvelle façon de vendre et de faire de l’art ?

Publié le 22 novembre 2021    access_time 5 minutes

Le gain fulgurant en popularité des NFTs (non-fungible tokens ou jetons non fongibles en français) bouscule les habitudes des créateurs, conservateurs et collectionneurs d’art de partout dans le monde. La conférence NFTs et mondes de l’art : vers de nouveaux protocoles créatifs ? organisée le 22 octobre dernier par la Chaire Fernand-Dumont sur la culture, s’est penchée sur ce sujet. 

À cette occasion, trois invité.e.s ont pris la parole :

Laurence Allard, sémiologue, chercheure à l’Université Paris 3-IRCAV, maîtresse de conférences à l’Université Lille-III, UFR Arts et Culture (France)
Johann Baron Lanteigne, artiste (Québec, Canada)
Jesse McKee, chef de la stratégie, 221A (Vancouver, Canada, territoires non cédés) 

Les NFTs en bref

Il revenait à Laurence Allard d’expliquer succinctement ce qu’est un jeton non fongible et quelle est son utilité.

Or, pour bien comprendre les NFTs, il faut en saisir l’origine. C’est pourquoi la sémiologue traça d’abord une comparaison entre l’emploi actuel de jetons virtuels dans des chaînes de blocs et l’utilisation de jetons dans des bulles d’argile 4000 ans av. J.-C. en Mésopotamie. En effet, dans les deux cas, il s’agit de codifier et d’enregistrer un transfert de propriété.

Qui dit chaînes de blocs dit cryptomonnaie. Elle rappela que les premiers à adopter les cryptomonnaies l’ont fait pour « créer [leurs] propres moyens financiers ». De plus, les cryptomonnaies s’appuient sur des protocoles différents de la finance traditionnelle. Il ne faut donc pas s’étonner que le commerce des NFTs s’appuie sur des protocoles différents que ceux sur lesquels repose le marché traditionnel de l’art.

Ses recherches lui ont permis de développer l’hypothèse de travail suivante : « les NFTs sont une nouvelle forme de DRM (Digital Rights Management ou gestion des droits numériques (GDN) en français), une réinvention de la rareté et des biens rivaux dans le monde numérique ».

« les NFTs sont une nouvelle forme de DRM (Digital Rights Management ou gestion des droits numériques (GDN) en français), une réinvention de la rareté et des biens rivaux dans le monde numérique »

Laurence Allard, sémiologue, chercheure à l’Université Paris 3-IRCAV,

Lorsqu’on visite les différentes plateformes qui permettent de se procurer des jetons non fongibles, on s’aperçoit rapidement de deux choses : « il y a beaucoup d’argent qui est mis en jeu » et « il y a une mise en scène de la rareté ». 

Par le fait même, les œuvres liées aux NFTs plus rares deviennent symboliques d’un statut social. En guise d’exemple, elle souligna comment le rappeur Jay-Z a changé son avatar Twitter pour l’image d’un CryptoPunk acheté pour la modeste somme de 120 000 $ USD en juin dernier.

Elle anticipe aussi un futur pas si lointain où des internautes exposeront dans leur coin de la multiverse des œuvres dont ils possèdent les NFTs.

Les artistes et les NFTs

C’était ensuite au tour de Johann Baron Lanteigne de prendre la parole. Contraint à travailler différemment durant la crise sanitaire, Baron Lanteigne s’est tourné vers les NFTs comme inspiration et comme canevas pour ses nouvelles créations.

Rapidement, il réalise que « les artistes sont devenus des promoteurs des plateformes » de vente de NFTs comme superrare.co. Autre constat, la plupart des artistes qui proposent des NFTs en ligne ne le font « pour aucune autre raison que d’en profiter ».

Selon lui, aborder les NFTs « comme un nouveau médium ouvre des portes intéressantes ». À preuve, il va même jusqu’à inclure des captures d’écran de la communauté cryptoart à même les installations virtuelles de la série #Metawork qu’il a vendues sur SuperRare.co

Les NFTs, une perturbation salutaire ?

Jesse McKee a ensuite pris la parole pour aborder les NFTs d’un angle plus social. Sa réflexion est le fruit d’une importante question : « Quels changements les chaînes de blocs provoqueraient-elles au sein des institutions culturelles ? »

Il rappela que ces transformations donnent l’opportunité et la technologie aux communautés de « se réorganiser ». En effet, les NFTs peuvent servir à autre chose que la vente d’œuvres d’art. Ils peuvent, par exemple, être utilisés pour se partager les parcelles d’un territoire. Dans une ville comme Vancouver, en proie à une crise immobilière, les NFTs pourraient faire partie de la solution.

Aussi, les chaînes de bloc, avec leur organisation décentralisée, permettent des processus différents des institutions financières traditionnelles. Il ne faudrait pas les limiter à des « jeux de monnaie ». Il soutient aussi que « cette culture permet aux groupes de s’organiser eux-mêmes ».

L’argent et les NFTs

Les trois invités ont ensuite été invités à réfléchir à la question : « qu’est-ce qui explique la popularité croissante des NFTs ? »

« Malheureusement, c’est surtout l’argent qui a fait connaître les NFTs du grand public », répondit Johann Baron Lanteigne.

Il développa davantage en soulignant que sur les différentes plateformes de transferts de NFTs, « le focus est plus sur le support de transfert d’argent que le support aux œuvres ». Qui plus est : « on dépend beaucoup des plateformes pour stocker les œuvres, en faire la promotion et rejoindre les collectionneurs ».

Selon Johann Baron Lanteigne, il ne faut pas non plus négliger la simplicité d’utilisation. « La facilité d’interagir avec le blockchain avec le wallet, c’est vraiment une expérience agréable, mieux que le web 2.0. » Il ajouta : « c’est Internet avec des features de plus ». « C’est Internet avec des transactions alors qu’avant, c’était l’Internet des échanges », renchérit Laurence Allard. « C’est Internet des valeurs », résuma Jesse McKee.

La facilité d’interagir avec le blockchain avec le wallet, c’est vraiment une expérience agréable, mieux que le web 2.0.Johann Baron Lanteigne, artiste

Johann Baron Lanteigne remarqua ensuite que « la plupart des collectionneurs sont à l’aise de laisser les œuvres être diffusées publiquement. Au final, ils veulent juste être propriétaires du NFT lui-même ».

Laurence Allard alla plus loin, expliquant qu’il y a « plusieurs types de collectionneurs. Ceux qui viennent pour l’argent fréquentent des places de marché où les œuvres sont classées par prix et rareté. Ceux qui cherchent des œuvres pour leurs qualités esthétiques se retrouvent davantage sur des métavers. »


Aller plus loin

La Chaire Fernand-Dumont sur la culture prévoit une seconde conférence sur le sujet qui se tiendra cette fois en France le 6 décembre prochain.

Surveillez son site Internet pour en savoir plus : http://www.chairefernanddumont.ucs.inrs.ca/

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