Perspectives sur le rapport annuel des tendances du FMC 2023
Publié le 2 février 2023 access_time 5 minutesUn compte rendu de Philippe Bédard, chercheur et rédacteur, Xn Québec.
Pour la 11e année consécutive, le Fonds des médias du Canada (FMC) a concocté un rapport de veille sur le secteur de l’audiovisuel. Ce dernier s’intitule Inspirations pour un avenir collaboratif : Repousser les frontières de l’industrie des écrans. À la fois un survol des habitudes de consommation des publics et des nouvelles tendances en matière de techniques, pratiques, et outils émergents, le rapport sera utile aux entreprises créatives qui souhaitent prendre le pouls d’un marché en constante transformation.
Même si le rapport lui-même en vaut la lecture, nous vous proposons ici quelques constats et réflexions qui touchent plus spécifiquement le secteur des expériences numériques.
Lire le rapport annuel des tendances 2023
Ce qu’il faut retenir du rapport
Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes. Malgré la reprise en force du secteur culturel en 2022, Florence Girot (Cheffe de la prospective et de l’innovation, FMC) remarque dans son mot d’ouverture que « l’accélération numérique engendrée par la pandémie continue de se faire sentir ». Les cryptomonnaies, les jetons non fongibles (JNF, ou NFT en anglais), les organisations autonomes décentralisées (OAD, ou DAO en anglais), le web3 et les outils de génération par intelligence artificielle (IA) ont cependant remplacé le métavers comme sujet chaud de l’année.
Le ton adopté pour traiter de ces nouvelles technologies mérite d’être souligné. Alors que ces dernières sont généralement accompagnées de promesses trompeuses, les différents articles qui abordent ces sujets les décrivent d’un œil critique, mais tout de même optimiste. Par exemple, dans la section qui traite de cryptomonnaie et de JNF, on met l’accent sur les bienfaits potentiels des contrats intelligents, dont la capacité de « faire le suivi des redevances versées à de multiples ayants droit dans le temps ». Plus largement, dans son article sur « Les leçons du web3 », Francis Gosselin mise sur l’aspect communautaire et collaboratif des OAD, qui ne sont pas que des « coopératives de la crypto » comme l’avait décrit le New York Times.
L’optimisme avec lequel ces technologies sont abordées n’est jamais tel qu’il se laisse aveugler par les promesses des partis intéressés. Le rapport aborde autant les enjeux légaux et l’impératif de développer de nouvelles mesures réglementaires que le potentiel créatif de ces différents outils. Bien évidemment, il ne faut pas s’attendre à trouver des solutions clés en main aux enjeux soulevés. Ces dilemmes sont plutôt évoqués pour susciter la réflexion.
Le secteur de l’audiovisuel, en général
Comme le Fonds des médias du Canada dessert le secteur de l’audiovisuel en général, on ne peut pas s’étonner que le cadre du rapport soit généraliste lui aussi. Or, il ne faut qu’un minimum d’imagination pour trouver dans le rapport beaucoup de matière à réflexion. Certaines des conclusions les plus pertinentes se rapportent aux habitudes de consommation changeantes des publics. En effet, plusieurs des articles relatent une évolution marquée quant aux goûts des publics canadiens, notamment en ce qui a trait aux préférences des nouvelles générations.
L’article « Valeurs et auditoires » est particulièrement utile pour mieux comprendre les valeurs et les sujets que recherchent les publics canadiens : diversité, justice sociale, questions de santé mentale, et beaucoup plus. L’article « Contenu 2030 » propose un regard sur les tendances à venir au cours de la décennie. Par exemple, en réponse à la question « quels sont les principaux défis auxquels la création de contenu devra faire face? », Pierre Thirion répond:
« Il y aura les changements climatiques, les flux migratoires, l’extraction intensive des ressources, la réconciliation avec les peuples autochtones, le bien-être collectif, la santé mentale, l’épidémie de solitude, la confiance fluctuante envers les institutions, les inégalités toujours croissantes, la gouvernance du web, l’omniprésence de l’intelligence artificielle (IA) et son impact sur la confidentialité des données, sans compter le rapport de force entre notre obsession pour la réussite individuelle et une saine gestion collective. »
Marie LeBlanc Flanagan insiste également sur l’enjeu environnemental auquel notre secteur devra se confronter : « J’ai du mal à concilier la crise climatique imminente avec le fait de m’asseoir à mon ordinateur pour créer des futurs et des univers imaginaires générés par l’apprentissage automatique… Ce sont deux choses inconciliables. Je me sentirais irresponsable de parler de la beauté de l’IA sans évoquer ces problèmes. La crise climatique aura un énorme impact, il y aura des réfugiés dans le monde entier. On en sentira certainement les effets au Canada. »
Imaginer des futurs plus positifs
La section « Influences et auditoires » contient deux des meilleures composantes du rapport. La première est l’article « Futurs alternatifs » de Danya Elsayed, lequel propose un survol de différents courants spéculatifs : afrofuturisme 2.0, futurisme autochtone, sinofuturismes alternatifs, etc. Ceux-ci s’inscrivent dans une pensée « protopique ». Contrairement à une utopie inatteignable ou une dystopie qu’on espère ne jamais voir se concrétiser, la protopie demande d’imaginer un futur meilleur qu’il serait encore possible de construire.
C’est là où l’accès aux outils ou aux contenus — abordé à quelques reprises à travers le rapport — prend tout son sens : si nous voulons créer un futur plus positif pour tous.tes, encore faut-il s’assurer que tous.tes aient la capacité de raconter leurs histoires. Parallèlement, comme l’écrit Karie Liao : « Quand bien même on parviendrait à créer un monde numérique immersif et multisensoriel, s’il n’est pas accessible ou s’il n’y a pas d’adhésion du grand public, tout cela n’aura été qu’une coûteuse distraction ou, au mieux, une tendance passagère. »
La seconde est la partie du rapport qui m’a le plus marquée, soit le scénario « La légende de Maskowisi » de Catherine Boivin. Cette dernière imagine une expérience immersive construite à l’aide d’une intelligence artificielle, grâce à laquelle « chaque joueuse et joueur fait l’expérience d’une version différente du jeu, parce que c’est l’histoire personnelle de l’individu qui constitue le matériau de l’histoire. »
En imaginant une expérience culturelle qui met à profit le meilleur de ce que les technologies d’aujourd’hui pourront un jour permettre, ce scénario illustre également l’objectif d’un tel exercice spéculatif : encourager la réflexion quant aux pratiques actuelles en imaginant un futur qu’on voudrait voir se concrétiser.
Conclusion
Le scénario de Catherine Boivin représente également le but du rapport dans son ensemble : susciter des discussions et provoquer des réflexions. Plutôt qu’offrir des réponses concrètes aux problèmes d’aujourd’hui, l’objectif des textes est d’amener le lectorat à s’imaginer le futur de notre industrie, voire le monde que nous aimerions construire.
Quelles technologies faut-il développer pour y arriver? Parallèlement, quelles histoires pouvons-nous raconter pour concrétiser ces futurs possibles?