Questions d’hier, réponses de demain: compte rendu MUTEK 2022
Publié le 30 août 2022 access_time 5 minutesPar Philippe Bédard, chercheur et rédacteur, Xn Québec
Une version anglaise de ce compte rendu est disponible sur sur le site XR Must.
Du 23 au 26 août 2022, des centaines d’esprits curieux se sont retrouvés au Cœur des Sciences de l’UQAM pour la huitième édition du MUTEK Forum. Cette année encore, le Forum offrait une série d’activités (conférences, tables rondes, ateliers, classes de maître, rencontres de réseautage, etc.) visant à pousser les réflexions sur les enjeux actuels en musique électronique et en art numérique.
Après deux années d’absence, l’enthousiasme et le bienfait de retrouver la communauté en personne se lisaient sur tous les visages. En même temps, les effets de la pandémie et le besoin de continuer à s’adapter à cette nouvelle réalité furent un thème central du Forum. Xn Québec vous propose un retour sur les échanges qui ont pris place lors de ces quatre journées d’événement.
Retour à la «vraie» vie?
L’activité d’ouverture du Forum a donné le ton au reste de l’événement. Dans « Retour à la “vraie” vie? », Jeanne Charlotte Vogt (NODE Forum for Digital Arts) et l’artiste nouveaux médias de renommée internationale Jeremy Bailey ont ouvert le bal avec une discussion ludique ponctuée par des démonstrations de filtres de réalité augmentée créés par ce dernier, qui proposaient un point de vue comique et bien souvent ironique sur certains des phénomènes les plus marquants de ces dernières années. Et si vous pouviez vraiment mettre les gens en sourdine comme en visioconférence, ou encore connaître la vraie valeur des relations sociales grâce à une cryptomonnaie créée spécialement pour MUTEK ? On sentait bien dans cette discussion — comme dans bien d’autres qui l’ont suivie — un curieux mélange de plaisir et de malaise face aux nouvelles habitudes hybrides que nous avons développées depuis 2020 et que nous continuons de devoir apprivoiser.
L’arrimage des mondes physique et virtuel en contexte post-pandémique
L’incertitude face à notre statut (post-)crise s’est fait sentir dans plusieurs panels qui traitaient du virage numérique d’institutions muséales et d’artistes en général. Dans le panel « L’arrimage des mondes physique et virtuel en contexte post-pandémique », Myriam Achard (PHI) a notamment remis en question le « post- » du titre de l’activité pour ouvrir la discussion aux enjeux que nous continuons de devoir adresser. La modératrice a d’ailleurs soulevé l’idée d’organiser un panel au prochain MUTEK Forum qui toucherait aux questions d’accessibilité que le virage numérique soulève encore. Par exemple, si le virtuel permet de démocratiser l’accès aux ressources et aux collections qui étaient normalement réservées aux initié.e.s, il ne faut pas oublier que l’accès à Internet haute vitesse n’est pas toujours offert en dehors des grands centres urbains. Force est d’admettre qu’il reste un travail à faire pour s’assurer de ne pas (re)produire dans un contexte numérique les mêmes inégalités que nous rencontrons dans le monde physique.
Façonner un marché pour la XR indépendante
Dans le cadre de la conversation « Façonner un marché pour la XR indépendante », Sandra Rodriguez (Voulez-Vous / Brigands) et Ingrid Kopp (Electric South) ont fait écho à ce souci d’accessibilité en contexte de virtualisation. Kopp a notamment décrit les problèmes que rencontrent les artistes du continent africain, soit l’accès aux technologies (p. ex. : les casques de réalité virtuelle sont difficiles à importer) et la connexion Internet parfois inadéquate pour télécharger des fichiers volumineux, ou encore pour se connecter aux plateformes de diffusion en continu.
Comme la discussion découlait de l’enquête Façonner un marché pour la XR indépendante, le destin des œuvres XR dans les festivals de films a également été abordé. Notamment, Kopp et Rodriguez ont remarqué qu’après deux ans d’événements virtuels ou hybrides, le retour du festival de Venise en mode 100 % présentiel était de mauvais augure pour le futur des événements virtuels. Certes, il est difficile et coûteux d’organiser un événement hybride qui sache reproduire tous les bienfaits d’un festival en personne, mais doit-on pour autant abandonner les avantages de rendre son événement accessible en ligne ?
La Collection Immersive, signée MUTEK
Un exemple d’adaptation aux nouvelles réalités de la distribution d’œuvres XR en contexte (post-)pandémique vient de la Collection Immersive, une nouvelle initiative signée MUTEK. Comme l’expliquait Lola Baraldi (MUTEK) lors du panel « Diffuseurs d’art numérique hier – producteurs aujourd’hui – distributeurs demain ? », le festival d’art électronique cherche à investir de nouveaux secteurs en se faisant producteur et distributeur d’expériences immersives. En l’occurrence, ces œuvres ne suivront pas le modèle de première en festival de film et seront plutôt publiées à l’automne 2022 sur les plateformes de diffusion (Steam, Oculus, etc.). C’est un pari sur lequel MUTEK s’attend à constater des retombées positives.
Les trois productions qui font partie de la cohorte initiale de la Collection Immersive découlent de performances audiovisuelles présentées au Festival MUTEK par le passé et que les artistes ont adapté pour une diffusion en réalité virtuelle. Entanglement (France Jobin & Markus Heckmann), House of Moiré (Chloé Alexandra Thompson & Matthew Edwards) et Immortelle (Line Katcho) proposent chacune des arrangements audiovisuels novateurs dignes de leur passage au festival MUTEK. Par exemple, Entanglement prend la physique quantique comme point de départ et cherche à en transposer les principaux tenants et aboutissants sous la forme d’une expérience sensorielle immersive, voire méditative. Pour sa part, House of Moiré nous invite à découvrir « une succession de pièces habillées par des motifs optiques, des programmations audiovisuelles et une conception spatiale minimaliste » (Source). Finalement, Immortelle propose une série de tableaux poétiques qui font office d’allégorie de la crise environnementale.
Lola Baraldi explique que lorsqu’on leur a présenté les différentes options de distribution, tou·te·s les artistes ont opté pour la plus grande portée offerte par la plateforme Quest 2, et ce, en dépit de ses nombreuses limitations techniques. Quand nous lui avons demandé si ces œuvres très nichées ne seraient pas mieux desservies par un espace in situ que par la plateforme grand public du Quest, Baraldi nous a rappelé l’un des constats de l’étude Façonner un marché pour la XR indépendante, à savoir que le public de ces plateformes ne consomme pas que des jeux, qu’il est curieux, voire même friand, de contenus plus diversifiés. Cette remarque fait écho aux propos d’Antoine Cayrol (Atlas V, Astrea), qui rappelle que « les gamers d’aujourd’hui sont des gens qui aiment et qui ont le temps de s’adonner à des loisirs, du moins plus qu’il y a quarante ans » (Source).
Et ce n’est pas tout…
Bien sûr, la Collection Immersive n’étais pas le seul projet à avoir piqué notre curiosité. Le projet Beyond Matter du ZKM | Center for Art and Media Karlsruhe s’annonce être un outil original pour assurer le virage numérique d’institutions muséales. Notons également l’espace virtuel Satellite de la Société des arts technologiques que Véronique Paradis et Mourad Bennacer ont présenté dans leurs panels respectifs. Finalement, il ne faudrait pas oublier l’initiative « Fibres et Textiles », un projet de co-création lancé par Eastern Bloc qui devrait inspirer d’autres centres d’artistes et d’OBNL à entreprendre de pareilles collaborations.
À l’année prochaine!
Chacune de ces initiatives continuera assurément de faire ces preuves au fil des mois et des années qui suivent. Nous nous donnons donc rendez-vous au prochain MUTEK Forum pour constater les évolutions provoquées par ces discussions et continuer à modeler ce secteur en plein développement. Le prochain Festival MUTEK à Montréal se déroulera du 22 au 27 août 2023 (P.S. Les passeports pour la 24e édition sont en vente dès maintenant).