
Sommet Influence : Technologie et créativité responsables
Publié le 12 juillet 2023 access_time 5 minutesUn texte de David Lamarre
Le Sommet Influence: Technologie et créativité responsables s’est tenu le 26 mai dernier chez Zú à Montréal.
Étaient réunis pour l’occasion des passionné.e.s d’entrepreneuriat, d’innovation, de technologie et d’investissement.
L’occasion était belle pour réfléchir à l’écoresponsabilité dans les industries créatives et au financement éthique de celles-ci.
Ce fut aussi le théâtre d’annonces importantes pour l’incubateur Zú.
Revenons sur cet événement satellite de la programmation de C2 Montréal, du mot d’ouverture en passant par les entrevues de Guy Laliberté et Pierre Fitzgibbon, ainsi que les quatre panels de discussions.
Une mot de bienvenue de Dimitri Gourdin
Il revenait à Dimitri Gourdin, directeur général de Zú, de prendre la parole en premier. « L’idée de cette conférence, son titre, n’est pas un hasard, explique-t-il. Il s’agit du nouveau positionnement de l’incubateur Zú: technologie et créativité responsable ».
Rappelons que Zú a été fondé en 2018 par Guy Laliberté, pour « créer de la richesse au Québec en faisant rayonner la créativité d’ici partout dans le monde. ».
Or, Dimitri Gourdin souligne qu’une nouvelle dimension doit s’imbriquer à cette mission. « Nous avons une responsabilité dans la nécessaire transition, dans la nécessaire transformation de notre économie, de notre monde».
Cette approche modifiée est le fruit d’un lourd constat: « dans le domaine techno numérique, on ne peut plus créer de la richesse sans se soucier des impacts environnementaux, éthiques et sociaux ».
Il invite ainsi les jeunes pousses à réfléchir dès le départ à l’intégration de saines pratiques dans leurs opérations.
« Désormais, toutes les startups devraient appliquer les principes ESG dans la conduite de leurs affaires », résume-t-il, jetant les bases des discussions à venir au cours du Sommet Influence: Technologie et créativité responsable.
Guy Laliberté et la créativité
Bien qu’il n’ait pu être présent en chair et en os lors du Sommet Influence : Technologie et créativité responsables, Guy Laliberté jugeait important de s’adresser aux participants via une entrevue vidéo enregistrée avec Dimitri Gourdin.
« La créativité, c’est l’émotion, explique le fondateur du Cirque du soleil. Plus que jamais les gens veulent s’accrocher aux émotions, et non seulement aux résultats. Pour moi le succès d’une entreprise, ce ne sont pas que les résultats financiers ».
Dimitri Gourdin est au diapason de cette manière de concevoir la créativité et les affaires. C’est pourquoi, au cours de la même vidéo, il a annoncé la création de deux nouvelles bourses de 15 000 $ pour les entreprises de l’écosystème Zú: « l’une pour récompenser une entreprise qui aura joué un rôle important en termes de diversité, d’équité et d’inclusion. L’autre pour récompenser une startup qui aura intégré la notion d’impact dans son modèle d’affaires ».
Une entrevue avec Pierre Fitzgibbon
En plus de cette annonce importante, l’événement a aussi été le théâtre d’une passionnante discussion en présentiel entre Dimitri Gourdin et Pierre Fitzgibbon.
Rappelons que l’homme de confiance du premier ministre François Legault dirige le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, tout en étant responsable du Développement économique régional ainsi que de la Métropole et de la région de Montréal.
Pour Pierre Fitzgibbon, les incubateurs et accélérateurs comme Zú ne doivent pas se limiter à leur rôle de levier économique. Selon lui: « l’innovation au Québec, c’est requis pour qu’on règle nos enjeux sociétaux ».
Parmi les nouvelles technologies qui ont le potentiel de régler ces enjeux, on note entre autres l’intelligence artificielle. Justement, ce sujet est venu s’imposer à la conversation. Dans sa question, Dimitri Gourdin suggère d’abord que l’IA « n’est pas un enjeu technologique, c’est un enjeu de gouvernance » avant de demander au ministre comment le Québec peut « devenir le porte-étendard d’une intelligence artificielle responsable et vertueuse ?»
Pour Pierre Fitzgibbon, il faut que le Québec « profite de sa notoriété pour participer au débat international sur l’éthique de l’IA, sans freiner le progrès ». Si certains chercheurs internationaux jugent qu’on doit prendre un pas de recul, le ministre croit au contraire «qu’on doit aller encore plus vite». Il demeure toutefois conscient qu’un encadrement est nécessaire pour éviter les débordements. À terme, «les gouvernements vont devoir légiférer», souligne-t-il.
Finance et investissement durables
Or, le Sommet Influence : Technologie et créativité responsables c’était aussi une série de discussions thématiques réunissant des acteurs clés du monde de l’innovation.
Les panélistes Saloua Benkhouya (FTQ), Geneviève Bouthillier (CDPQ) et Sévrine Labelle (BDC), avec l’aide d’Anne-Marie Hubert (EY Canada) à la modération, ont ainsi traité de la question du financement et des investissements durables.
Ces femmes ont en commun d’occuper des postes clés au sein d’institutions qui investissent massivement dans des entreprises d’ici. À ce titre, elles sont les personnes tout indiquées pour expliquer comment les critères ESG influencent leurs décisions.
Il s’agit d’un rôle à ne pas prendre à la légère. Sévrine Labelle le sait bien. Elle note que son travail permet de « stimuler, propulser et accélérer les changements sociétaux ».
Saloua Benkhouya abonde dans le même sens, tout en précisant que le moment se prête bien à une telle sensibilité. Elle considère qu’il est de son devoir d’« accompagner la société dans une transition juste ». À cet égard, elle note que les changements provoqueront des perturbations au niveau du marché du travail. Il s’agit toutefois selon elle d’une belle opportunité pour « requalifier la population pour de nouveaux emplois ».
Innovation et commercialisation responsables
Si le premier panel se concentrait sur le financement, le second se penchait plutôt sur la mise en marché des produits et services novateurs. C’est pourquoi Catherine Mathys (La société des demains) accueillait sur scène Serge Beauchemin (AQC Capital), Valérie Pisano (Mila) et Éric Salobir (Human Technology Foundation).
On a tenté d’abord de définir ce qu’on entend par « responsable ». « Être responsable, c’est tenir compte du contexte», selon Valérie Pisano. Elle ajoute: «Il y a des comportements qui sont acceptables dans les bars, mais qui seraient déplacés dans une cour d’école ». En d’autres termes, des organisations responsables tiennent compte du contexte environnemental et social dans lequel elles évoluent et prennent en considération l’impact que leurs décisions et leurs actions ont sur ce contexte.
Selon Éric Salobir, de plus en plus d’entreprises réalisent l’importance de partager les valeurs de la population. Il cite une grande firme-conseil européenne qui se questionnait sur les raisons de leurs difficultés à retenir leurs talents: «Est-ce qu’ils sont bien payés? Si, si. Est-ce que les conditions de travail sont bonnes? Si, si. Est-ce que le travail est intéressant? Si, si. ». Au final, le problème était que les employés n’avaient pas l’impression d’avoir un impact positif sur le monde…
Or, Valérie Pisano prend soin de rappeler que « les entreprises bien établies ont grandi et œuvré dans un monde qui n’avait pas la même vélocité ou la même complexité que celui dans lequel on s’inscrit aujourd’hui ». À l’inverse, les startups ont l’avantage d’être fait par, et pour, le monde contemporain.
Les panélistes s’entendent pour dire que cette agilité des jeunes pousses est désirable pour les grandes entreprises. «Elles doivent se tourner vers les startups et initier les relations», affirme Serge Beauchemin.
Engagement et acteur de changement
Stéphanie Grammond (La Presse) a ensuite animé un panel sur l’intégration des pratiques ESG dans les entreprises culturelles et créatives. L’ont rejoint sur scène Lotfi El-Ghandouri (Yikki), Frédéric Rebet (attaché culturel, Consulat général de France à Québec) et Annie Gérin (doyenne de la Faculté des beaux-arts, Université Concordia).
D’emblée, Annie Gérin s’est prononcée quant au rôle des institutions culturelles en la matière. Elles doivent « démystifier ou vulgariser » les enjeux. Elle ajoute: « en culture on peut véhiculer toutes sortes de messages, on peut montrer l’invisible ». Mais le travail ne s’arrête pas là. Selon elle, les créateur.rice.s ou les artistes ont un rôle à jouer «en posant les bonnes questions et en poussant les bonnes réflexions ».
Frédéric Rebet abonde dans le même sens. « [C’est] une question d’influence », explique-t-il. Pour illustrer son propos, il rappelle l’omniprésence de la cigarette au cinéma ,il n’y a pas si longtemps. Lorsque les vedettes ont délaissé les produits du tabac au grand écran, le tabagisme a aussi perdu de sa popularité au sein de la population.
Pour Lotfi El-Ghandouri, le mot clé est « inspiration ». Il croit fermement que « plus on investit dans la culture, plus les perspectives s’ouvrent ». SC faisant, il devient plus facile d’imaginer les problèmes à venir, et mieux encore, les solutions.
Inversement, M. El-Ghandouri identifie deux « barrières » qui peuvent nuire à l’intégration des pratiques ESG. « L’une, c’est le confort. L’autre, c’est les préjugés ». Pour contrer ceci, « il faut voir les organisations comme des prototypes infinis. ».Ça permet d’éviter de sombrer dans les idées préconçues et d’ouvrir le champ des possibles.
Représentant l’Université Concordia, Annie Gérin soulève une question fascinante quant à la préparation de la main-d’œuvre autour des pratiques ESG. « Il faut former les étudiants pour les emplois de demain, convient-elle. Mais on ne sait pas ce que seront les emplois de demain ». Du coup, elle essaie de doter sa clientèle « d’outils pour qu’ils soient très adaptables ». Plus spécifiquement, on enseigne la créativité, la résilience et l’interdisciplinarité.
Perspectives startups
Pour conclure la journée, Mathieu Bouchard (KPMG) recevait 3 entrepreneur.e.s, Williamson Dulcé (Orijin), Harold Dumur (Ova) et Anne-Marie Asselin (Organisation bleue), afin de discuter de l’impact que de nouvelles entreprises peuvent avoir sur la société.
Rapidement, Anne-Marie Asselin a cerné un certain écart entre le message véhiculé par les bailleurs de fonds et la réalité sur le terrain. Elle brosse ainsi le portrait financier de son organisation: « Après 4 ans d’incorporation, j’ai une marge de crédit de 5000 $ et aucun fonds de roulement. J’ai un chiffre d’affaires exponentiel, mais le financement ne suit pas. ». Ce qui la pousse à se questionner: « on utilise ma cause pour vanter l’entrepreneuriat, mais au final quels sont les leviers qu’on m’accorde vraiment, à part de la visibilité pour dorer l’image des autres? »
Williamson Dulcé perçoit lui aussi une inadéquation entre les intentions des bailleurs de fonds et les moyens mis en place pour les concrétiser. « Il y a un système en place où on doit remplir des demandes de subventions et on a vécu l’expérience d’être rejeté parce qu’on n’était pas noir. ».
En guise de mot de la fin, il résume: « il faut s’assurer qu’il y ait un pont entre les institutions et les startups. Parfois il y a des programmes qui nous sont montrés, qu’on nous fait miroiter, mais qui ne sont pas adaptés ».