Monique Savoie: un hommage à 360 degrés
Publié le 22 mai 2025 access_time 5 minutesSi Montréal est aujourd’hui une plaque tournante de la créativité numérique mondiale, c’est entre autres grâce à des bâtisseur.euse.s comme Monique Savoie.
Le 29 mai prochain, devant une salle remplie de producteur.rices.s d’expériences numériques réuni.e.s au Club Soda pour la seizième édition du gala des PRIX NUMIX, s’est vu offrir le prix Hommage pour souligner l’ensemble de ses réalisations.
Retour sur la carrière d’une pionnière audacieuse, en sept moments marquants.
1990 – Pour commencer: un Blanc de mémoire
«En 1990, c’est l’heure de la [multi] médiatisation», chantait (presque) Jean Leloup.
Commençons ce voyage dans le temps par un détour en Arctique. En 1990, «de retour du Pôle Nord, où elle a fait un séjour de trois semaines sur un cargo, Monique Savoie présenta au Vieux-Port de Montréal une installation multimédia intitulée Blanc de mémoire»1.
À lire les lignes de Daniel Carrière dans les pages de Ciné-Bulles, on retrouve dans Blanc de mémoire l’audace, l’inventivité et la propension à sortir des sentiers battus qui caractériseront, au fil du temps, le parcours de Monique Savoie.
«L’installation vise à intégrer le spectateur dans le processus de montrer ou de faire de l’art. Par extension, elle vise à intégrer la vidéo dans une représentation qui abolit le cadre de l’écran, le petit et le grand.»
1995 – ISEA 95, un événement mythique
C’est sous le thème des «Sens émergents» que s’est déroulée à Montréal la 6e édition du symposium des arts technologiques ISEA en 1995. Voici un extrait d’une entrevue de Yan Breuleux, professeur à l’École des arts numériques, de l’animation et du design (NAD), qui illustre bien l’importance de cet événement.
«L’année 1995 est, à mon avis, un événement aussi important pour Montréal que l’Expo 67. Le symposium arrive en pleine période d’utopie technologique et marque l’avènement de la démocratisation des technologies numériques à Montréal. ISEA représente pour moi cette première rencontre avec un état d’esprit face à la création artistique utilisant les nouvelles technologies»2.
À qui doit-on la tenue de ce légendaire événement? À une équipe de rêve : Monique Savoie à la direction, Alain Mongeau à la programmation et Nancy Tobin à la production.

1996 – La fondation de la SAT
Difficile d’imaginer le boulevard Saint-Laurent sans la Société des arts technologiques (SAT). Or, à sa fondation en 1996, la SAT était plutôt située au Marché Bonsecours, puis sur la rue Sainte-Catherine. Ce n’est qu’en 2001, à la suite d’un avis d’expulsion, que l’organisme a déménagé aux abords de la Place de la Paix.
Dire que le 1201 boulevard Saint-Laurent, à cette époque, avait besoin d’amour serait un euphémisme. «Lorsque nous l’avons visité, le lieu était habité par des pigeons. Les carreaux des fenêtres étaient cassés, un système d’appoint maintenait le chauffage, l’odeur était nauséabonde… Personne ne voulait financer un tel bâtiment, un tel délabrement! Finalement, la Caisse de la Culture Desjardins prit le risque avec nous.»3
Qu’à cela ne tienne, la SAT avait trouvé ses locaux. Sa mission, elle, demeurait la même. Laissons à Monique Savoie le soin d’expliquer ce qui l’inspira à fonder cet organisme à but non lucratif et d’en assurer la direction pendant 25 ans:
«En 1996, je caressais un grand rêve : réunir dans un même lieu un incubateur de talents, un club école pour de jeunes professionnels encadrés par des directeurs.trices de haut niveau, des résidences d’artistes venus d’ici et d’ailleurs, des scènes pour les créateurs, un programme de formation pour les 7 à 77 ans et un centre de recherche reconnu pour les communautés scientifique et artistique. Je souhaitais offrir aux Montréalais.ses une infrastructure collective consacrée aux enjeux de société à l’ère numérique. Un quart de siècle plus tard, je peux clamer fièrement que mon rêve est devenu réalité.»4

1999 – Elle nous donne Rendez-vous… sur les bancs publics
Conçue par Monique Savoie et Luc Courchesne et produite par la SAT⁴, l’installation interactive Rendez-vous… sur les bancs publics reliait deux lieux : le Musée d’art contemporain de Montréal et la Place d’Youville à Québec.
En effet, à la manière d’un appel de visioconférence entre deux places publiques, les passant.e.s de la Métropole et ceux et celles de la Capitale-Nationale pouvaient échanger en direct, de jour comme de nuit, grâce à une connexion haute vitesse. Rappelons-nous qu’à cette époque, la plupart des internautes se branchait à internet via une connexion téléphonique 56k…
Bel exemple des innovations propulsées par la SAT, Rendez-vous… sur les bancs publics a pavé la voie «dix ans plus tard, en 2009, au développement du dispositif de téléprésence Scenic et du réseau Scènes ouvertes, qui connecte des salles de spectacle à travers le Québec»5.

2008 – La Satmobile s’arrête à Québec
Rendez-vous… sur les bancs publics n’est pas la seule expérience que Monique Savoie a fait vivre aux citadins de la ville de Québec. En effet, dans le cadre des célébrations du 400e anniversaire de la capitale nationale, elle a transporté la Satmobile, un dôme gonflable pouvant accueillir des projections immersives, au Bassin Louise du Vieux-Port de Québec.
L’événement a été nommé DOMAGAYA en hommage au «fils de Donnacona, le chef iroquois du village de Stadaconé (Québec) qui a joué un rôle important lors de l’établissement des Français dans ce qui allait devenir l’actuelle ville de Québec»6.
Les 17 jours de programmation se voulaient «une opportunité de rencontres entre les différentes cultures autochtones, le peuple canadien, les touristes et toutes personnes curieuses de découvrir cette culture innovante, demeurant en harmonie avec ses traditions ancestrales».
Qui plus est, la Satmobile «fut finalement le prototype d’une structure immersive permanente, construite sur le toit de la SAT: la Satosphère»7.

2011 – Construction de la Satosphère
18 mètres de diamètre, 13 mètres de hauteur, 8 projecteurs, 157 haut-parleurs. 1 plancher de danse. À n’en point douter, la Satosphère est une destination de choix pour en avoir plein la vue et les oreilles à Montréal.
Cette salle immersive, disposée sous un dôme dessiné par Luc Laporte, représente en quelque sorte un cadeau que la SAT s’est offert pour ses 15 ans. Rappelons que c’est en 2011, avec le spectacle Intérieur de la compagnie Kondition Pluriel, que la Satosphère a été inaugurée.
Or, construire une salle de projection à 360 degrés destinée aux créations artistiques n’a pas été une mince affaire. Comme l’expliquait Monique Savoie à Nathalie Petrowski : «Quand on a commencé à élaborer le projet du dôme, on se faisait traiter de Nef des fous, de radeau de la Méduse ou même de Titanic!8».
Qu’à cela ne tienne, la Satosphère représente aujourd’hui une «référence mondiale en terme d’innovation numérique»9.

2011 – Dévoilement de Pixiness
Toujours en 2011, la SAT a transformé sa devanture pour y mettre en évidence une «œuvre d’art lumineuse, numérique et interactive à échelle urbaine créée par l’artiste visuel Axel Morgenthaler»10.
Intitulée Pixiness, cette «pièce, monumentale, tourne sur elle-même afin de dévoiler tour à tour son côté miroir ou son côté pixels et lumières. Composée d’un dispositif de deux tonnes de lumières et d’une matrice de 960 pixels, l’œuvre est aussi interactive»11.
Elle est le fruit de deux ans de recherche et de développement, et figure parmi les installations d’art public les plus impressionnantes de Montréal. De plus, elle correspond en tous points à la vision qu’a Monique Savoie pour Montréal :«Je pense que si on avait une marque de commerce à mettre au-dessus de la ville pour son avenir, ce serait la rencontre de l’art et du génie».
Les photos employées dans cet article sont une courtoisie de la SAT.