L’impact de l’intelligence artificielle sur les organisations culturelles


L’impact de l’intelligence artificielle sur les organisations culturelles

Publié le 19 janvier 2024    access_time 5 minutes

L’intelligence artificielle générative est certes le sujet de l’heure dans le domaine culturel. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il en ait été question lors de la 10e rencontre nationale du Réseau ADN, animée par l’équipe de Projet collectif, le 28 novembre dernier à Montréal. Pour l’occasion, le co-auteur du livre Le capital algorithmique, Jonathan Durand Folco, et le directeur général de Sporobole, Éric Desmarais, étaient invités à échanger sur les bouleversements que cette nouveauté risque de causer dans le milieu des arts et de la culture au Québec.

Retour sur cette conversation croisée des plus intéressantes.

L’impact économique et social de l’intelligence artificielle générative

Le professeur agrégé en innovation sociale à l’Université Saint-Paul à Ottawa, Jonathan Durand Folco, se qualifie lui-même d’«intellectuel, chercheur, professeur interdisciplinaire». Avec Jonathan Martineau, il est co-auteur du livre Le capital algorithmique qui présente 20 thèses abordant, en autres, «l’impact de l’IA sur la démocratie, sur le travail, sur l’environnement et sur les enjeux de relations internationales».

D’emblée, il précise que «les technologies ne peuvent pas être analysées dans leur pleine concrétude uniquement en tant que technologie puisqu’elles ont des impacts au niveau économique et social». Il ajoute: «c’est imbriqué dans des relations de pouvoir».

Si on prend l’exemple de ChatGPT et sa proximité avec Microsoft, ou si on considère les outils lancés récemment par Google et Meta, on peut vite s’imaginer que les IA génératives permettront aux géants du net de solidifier leur emprise sur l’économie mondiale.

Ce n’est pas encore nécessairement le cas, soutient Jonathan Durand Folco. «Ce n’est pas parce que certaines compagnies contrôlent des technologies qu’on ne peut rien faire avec, avance-t-il. On peut se les approprier et les utiliser pour une émancipation potentielle». Bref, selon lui, «il ne faut pas être abstinent et refuser toutes formes d’outils numériques algorithmiques».

Il faut toutefois faire preuve de jugement dans leur usage. À cet égard, il défend une approche «techno-soft». Il faut se méfier des promesses de «croissance, richesse et prospérité pour tout le monde» et éviter que les biais des intelligences artificielles viennent «affecter négativement certains groupes de la population».

Impact organisationnel de l’intelligence artificielle générative 

«Parmi vous, qui peut dire que son organisation est en excellente santé financière?»

Telle est la question choc qu’Éric Desmarais, directeur général de Sporobole, a posée à la trentaine d’agent.e.s de développements culturel numérique présent.e.s lors de cet événement.

«Est-ce qu’on a les moyens, comme milieu culturel, de passer à côté de cette révolution?»

Celui qui se présente comme un artiste non-pratiquant anticipe que les changements liés à l’IA seront encore plus importants que ceux qui ont eu lieu à la suite du développement d’Internet et de l’apparition des outils collaboratifs.

Pour illustrer son propos, il trace un parallèle entre la situation qui prévaut aujourd’hui et celle qui prévalait lors de l’apparition de Napster. À cette époque, il existait «une longue chaîne pour transférer la musique vers les consommateurs». Éric Desmarais se souvient que «le milieu s’est braqué» face au piratage et au non-respect des droits d’auteur. Or, le mal était déjà fait. Les habitudes de consommation avaient changé. Ceci a pavé la voie aux plateformes de diffusion en ligne. Depuis, les redevances offertes aux artistes ont chuté considérablement. À ses yeux, en se campant sur ses positions, l’industrie musicale n’a pas été en mesure de développer ou s’approprier son propre système économique. 

Dans le même ordre d’idées, il rappelle comment il y a eu une nouvelle levée de boucliers quand la suite bureautique infonuagique de Google est arrivée. De nombreuses organisations ne voulaient pas stocker leurs documents en ligne en raison de craintes liées à la sécurité. Pourtant, ces outils de travail ont permis d’importants gains de productivité en permettant à plusieurs utilisateurs, mais aussi à plusieurs organisations, de travailler ensemble simultanément. Ces logiciels collaboratifs ont mené à une transformation numérique, dont l’existence de la communauté de pratique des ADN est tributaire.

Il estime que l’arrivée de l’IA dans le grand public s’inscrit dans la même lignée. De nombreuses tâches administratives seront bientôt automatisées à l’intérieur des organisations. Toutefois, ces changements ne se feront pas gratuitement. «C’est peut-être 25%, 40% ou 50% des tâches qu’on va automatiser.» Ce qui mène à des questions importantes… «À qui appartiendront ces gains? À nous? Ou devra-t-on les acheter à des plateformes américaines?»

L'impact de l'intelligence artificielle sur les institutions culturelles tel que vu par une IA générative
L'impact de l'intelligence artificielle sur les institutions culturelles tel que vu par une IA générative
L'impact de l'intelligence artificielle sur les institutions culturelles tel que vu par une IA générative

Crédit images: Microsoft Copilot optimisé par Dall-E 3, L’impact de l’intelligence artificielle sur les institutions culturelles

Comment peut-on se préparer à cette vague de transformation?

Au cours des échanges qui ont suivi les prises de paroles des intervenants invités, une question primordiale a été avancée: «comment peut-on se préparer à cette vague de transformation?»

Jonathan Durand Folco croit qu’il faut expérimenter avec les outils, sans pour autant mettre des lunettes roses.

Il privilégie l’emploi de logiciels ne provenant pas des géants du net. Il encourage les utilisateur.rice.s potentiel.le.s à créer un «écosystème d’outils démocratiques» et choisir des logiciels développés de façon éthique. Il admet toutefois que c’est «beaucoup plus facile à dire qu’à faire».

De son côté, Éric Desmarais juge que le temps presse. Au sujet de l’adoption des outils IA par les organismes culturels, il soutient qu’il faut que «ça se fasse le plus rapidement possible, avec les gens qui sont prêts à prendre du leadership là-dessus».

Pour rassembler les ressources nécessaires à cette nouvelle phase de la transformation numérique des organismes, il juge que la solution passe par la force du nombre. «Il n’y a pas d’autres façons que d’aborder collectivement ces enjeux-là.»

En savoir plus:

À lire: Chromatic Pro: au carrefour de l’art et de l’intelligence artificielle
À lire: Comment l’industrie de l’audiovisuel peut-elle s’adapter à l’évolution des outils IA?
Le wiki du réseau ADN: https://wiki.reseauadn.ca/wiki/Accueil
Site web de Sporobole: https://sporobole.org/
Site web de Projet Collectif: https://projetcollectif.ca/
Le capital algorithmique: https://ecosociete.org/livres/le-capital-algorithmique

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